Mettons-nous un bref instant dans la peau d’un parisien…
Vous savez, le parisien, c’est ce type un peu bizarre qui n’aime presque rien et qui râle beaucoup ; qui a tout vu, tout fait et qui a des avis sur tout. Tout bien réfléchi, vraiment le profil qu’on préférerait avoir en journal.
Il est 6h00 du matin, le réveil sonne. Cette nuit, comme toutes les autres, a été bien trop courte ; ce réveil, comme tous les autres, est bien trop matinal. Notre parisien se réveille donc à 6h00, comme hier, comme avant-hier, comme tous les autres matins aussi.
Il se lève et se dirige machinalement vers la même salle de bain, pour une toilette quotidienne minutée avec la précision d’un horloger. Il prépare ensuite le même petit-déjeuner, fait couler le même café, presse les mêmes oranges et beurre les mêmes tartines. Il sort de chez lui dans la même rue, monte dans la même rame de métro, sort à la même station, entre dans les mêmes bureaux, s’élève dans le même ascenseur, s’arrête au même étage et rejoint le même open space. Et ce matin, comme tous les autres, il croise ses mêmes voisins de bureau, autour de la même machine à café, tout en affichant le même sourire.
Allez, ça ne vous rappelle rien cette journée rythmée par la logique du même ?
« Debout les campeurs et haut les cœurs, n’oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd’hui. Ça caille tous les jours par ici, on n’est pas à Miami. »
Notre parisien, c’est Bill Murray coincé dans une journée sans fin !
Et savez-vous ce qu’on lui demande, tous les jours, à notre parisien ? Être créatif, pire encore : “disruptif” ; faire bouger les lignes, voir plus loin, plus haut, plus fin, en d’autres mots : penser “out of the box” ! Bref, réinventer, tout en étant englué dans le répétitif.
Mettons-nous à présent dans la peau d’un autre personnage.
« Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour 4 mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir. »
Il suffit parfois de quelques mots pour donner à lire toute la grandeur et la force d’une attraction. Nous sommes en 1953, sur une route de presque bout du monde, qui les mène d’Istanbul à Tabriz. Une minuscule Fiat Topolino, poussiéreuse, chargée et poussive, traverse au rythme de ses faibles capacités, ce vaste territoire d’Asie Mineure qu’est la Turquie.
A son bord, deux jeunes suisses de 24 et 26 ans, animés par le rêve et les désirs d’ailleurs. Ils s’appellent Nicolas Bouvier et Thierry Vernet, et ils ont choisi qu’être heureux leur prendrait tout leur temps. Le premier, écrivain, rapportera de ce bonheur vagabond un ouvrage majuscule : “L’usage du monde” ; le second, illustrateur et peintre, laissera une correspondance illustrée d’une touchante justesse : “Peindre, écrire chemin faisant”.
Que sont-ils donc venus chercher sur ce chemin hors des sentiers habituels, dans la dureté de l’espace et du temps ? Une occasion, ou plutôt une sorte de réduction : “privé de son cadre habituel, dépouillé de ses habitudes comme d’un volumineux emballage, le voyageur se trouve ramené à de plus humbles proportions. Plus ouvert aussi à la curiosité, à l’intuition, au coup de foudre.”
Ils sont venus rouler à basse allure sur le temps et les habitudes ; pour retrouver, aussi, cette part d’eux qu’ils avaient laissée, beaucoup trop tôt, s’égarer.
“Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.”
Le voyage est évidemment une superbe métaphore. Voyager, ce n’est pas forcément aller en Anatolie, ou plus loin encore. On peut créer les conditions du voyage juste autour de chez soi, avec presque rien. Voyager veut simplement dire créer les conditions de l’ouverture à l’autre, l’opportunité de la surprise, les changements de cadre et d’échelle.
On peut donc être parisien et voyager tous les jours ? Évidemment !
Et cela peut prendre de multiples formes.
– Oublier le métro et choisir la marche ou le vélo pour nourrir le regard par le dépaysement ;
– Caler des petits déjeuners matinaux, deux jours par semaine, avec des professionnels d’un autre secteur d’activité, sans en attendre un ROI préalablement évalué.
– Adresser enfin la parole à ce collaborateur que l’on salue tous les jours mais dont on ne sait finalement rien ;
– Se perdre dans les couloirs de son entreprise pour découvrir et s’initier à d’autres services, d’autres façons de fonctionner, d’autres objectifs ;
– Accepter une mission, apparemment sans intérêt, juste comme ça, pour voir où sa mise en œuvre peut vous mener.
Il y a mille façons de désobéir aux habitudes et créer les conditions de la découverte. Mille façons parfois minuscules qui, pourtant, offrent l’occasion d’un premier pas vers une curiosité. Entreprendre dans l’entreprise, c’est d’abord commencer par casser ses réflexes de répétition.
Et vous, quelle sera votre première désobéissance, demain, à 6h00 du matin ?
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3 commentaires
etienne
Super intéressant, merci beaucoup !
dany-p
Très bonne manière effectivement de se ressourcer et de voir autre chose que son quotidien, même si à Paris, comme vous le dites, on peut clairement passer d’un univers à un autre l’espace d’une station de métro, encore faut-il avoir la volonté de rencontrer de nouveaux horizons : on peut très bien être à milles lieux de son lieu de travail le temps de quelques jours et conserver son train train quotidien… à mon sens ce n’est qu’une question de volonté. Bon article !
elodie
Effectivement je suis persuadée aussi que la volonté est le seul remède pour avancer dans la vie, et voir d’autres choses pour grandir plus vite !