Ah ce fameux bon mot… vous savez, cette petite formule amusante, parfois grinçante, que vous avez lancée à votre collaborateur. Un trait d’esprit spontané, censé “amuser la galerie” autour de la machine à café, ou une formule toute faite, presque un réflexe, pour tenter de remobiliser ses troupes ou affirmer son autorité.
Des phrases a priori anodines se faufilent ainsi dans les couloirs de l’entreprise. Elles se transmettent, se répètent, se reformulent, agissant comme un virus à propagation rapide.
Qui parmi-nous peut ainsi jurer n’avoir jamais prononcé l’une des six formules suivantes ?
« Tu prends ton après-midi ? » : une question à la saveur du reproche déguisé pour souligner à votre collaborateur que quitter le bureau à 17h, au lieu des 20h habituels, ça frise franchement l’indécence.
« C’est pour hier ! » : un éclairage asséné à ce jeune effronté qui vous demande quand il doit vous remettre le dossier que vous avez eu l’intelligence de lui forwarder… Parce que les dossiers brûlants et pas cool, c’est quand même mieux quand ils sont portés par d’autres !
« Tu n’es vraiment pas assez corporate » : une formulation idéale pour souligner à votre N-1 que la demande qu’il vous adresse et les arguments qu’il avance vous indisposent. Ils sont quand même fatigants ces collaborateurs qui ont l’audace d’avoir raison.
« Sois force de proposition » : une phrase digne de Star Wars pour que le Luke Skywalker du bureau que vous êtes trouve la force des bonnes idées pour alimenter un manager qui n’en a plus.
Et puis, reine des formules, cette phrase magique devenue un vrai best seller dans les échanges professionnels : « On est dans une logique Win-Win ». Imparable ! Un jeu de dupe qui laisse seulement sous-entendre que pour l’un des deux, cela va quand même être beaucoup plus “Win” que pour l’autre. Et le plus savoureux dans l’histoire, c’est que chacun se pense alors l’élu du “Win”. L’entreprise, ça carbure aussi au paradoxe.
Mais il existe aussi d’autres mots, empreints d’abattement ou de fatalité, dont l’usage risque de déteindre sur ceux qui sont partout autour.
« De toute façon, quoi qu’on dise ou quoi qu’on fasse, ILS ont déjà décidé », que l’on pourrait faire suivre d’une conclusion presque évidente : « et ça m’arrange bien ! »
« On a toujours fait comme ça », une résignation, en apparence, qui pourrait être formulée différemment tout en disant la même chose : «J’ai une énorme flemme de changer».
« Encore un truc qu’on va abandonner dans 2 mois », qui donne à celui qui la prononce une excellente excuse pour ne rien faire aujourd’hui.
Il y a enfin ces autres phrases qui, à force de protéger de l’éventualité d’un échec, finissent par paralyser l’audace, et supprimer surtout toute possibilité de succès.
« Je n’ai pas fait tout ça pour risquer de tout perdre aujourd’hui » : une rengaine chère aux professionnels du plan de carrière dont le parcours, réglé comme du papier à musique, les mène confortablement sur un chemin sans surprises.
« Une règle de base : succès visibles, ratés cachés » : une stratégie comme une ligne de conduite pour ceux que les postures politiques inspirent.
Des petites phrases toutes simples comme celles-ci, il y en a des milliers dans l’entreprise. Elles ne veulent à priori rien dire, mais elles en disent pourtant beaucoup.
Elles rythment le quotidien de collaborateurs qui, à force de les entendre ou de les diffuser, finissent par créer les conditions d’un désengagement collectif, notamment pour trois raisons :
– Elles ne délivrent aucun message vraiment positif par leur caractère souvent culpabilisant.
– Elles ne fédèrent pas et tendent à neutraliser l’esprit de collaboration.
– Elles décrédibilisent surtout, un peu, voire même beaucoup, celui qui les émet.
Il existe pourtant tellement d’autres messages permettant de créer les conditions de l’initiative et encourager la posture entrepreneuriale.
Si c’est aussi en changeant son propre langage que l’on participe activement à la transformation durable de son entreprise, quels seront donc, demain, vos premiers mots en arrivant au bureau ?
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4 commentaires
michelle
Il y a une phrase culte également « cette après midi j’ai piscine » je l’adore.
Très bon article merci
cathy
Excellent !!
Cédric
Dingue, c’est tout à fait ça ! Et je plaide coupable pour au moins la moitié des expressions. Mais cela a eu le mérite de me faire réfléchir … je crois que j’éviterai à l’avenir.
Ledbereth
Oui… et non… J’ai entendu ces phrases mais dans de grandes entreprises, prononcées par des cadres principalement. Dans les petites entreprises, ou tout le monde fait tout, il vaut mieux éviter les petites phrases vexatoires ou stériles car en effectif réduit, ça se retourne rapidement contre vous.