Prenez quelques secondes, allez soyons fous, quelques minutes même, pour vous poser une question simple mais pourtant essentielle: quel est votre rapport au temps qui passe ?
Posons-nous d’ailleurs la question différemment, en se projetant dans le regard des autres : que dirait-on de vous si l’on devait vous qualifier en fonction du temps ?
Seriez-vous un contemplatif “qui prend son temps” ? Un efficace “toujours à temps” ? Ou un champion “vainqueur du temps” ?
Cette question, je la pose régulièrement lors de conférences en entreprises. 90% des participants se considèrent comme des “efficaces toujours à temps”. 90% des collaborateurs en entreprise sont donc de bons élèves. En revanche, question contemplatifs, c’est le zéro pointé ! Pas un seul qui n’ose avouer le plaisir ou la nécessité de prendre son temps. Ralentir est perçu au minimum comme de la paresse, et bien souvent comme de la fumisterie.
Nos réponses sur cette question du temps en disent long sur ce qu’est devenu, au fil du temps, notre lien au temps. Il suffit de regarder autour de nous. Que l’on parle de progrès technologique, de temps de déplacement, de circulation de l’information, notre monde est en accélération sur tout. Au fil des siècles, et sans doute plus fortement encore depuis les années 80, nous avons fait de la contraction du temps un enjeu de productivité et de performance absolue.
Ainsi, nous ne supportons plus de “passer du temps”. Tout doit aller très vite :
– On fait des rencontres express avec Tinder et le speed dating.
– On lit efficacement avec la méthode de lecture rapide.
– On passe des ordres boursiers en nano-secondes avec le high frequency trading.
– On devient ivre en quelques minutes avec le binge drinking.
– On vit l’info en direct live grâce aux tweets de ceux qui vivent l’événement.
– On crée des startups en cycles courts avec la méthode lean startup.
– On doit échouer vite pour réussir plus vite encore avec l’injonction « Fail Fast, Succeed Faster ».
L’idée même de perdre son temps est devenue inacceptable. Il faut dire qu’internet a profondément changé nos comportements et nos exigences. Internet a fait de nous des adultes ultra-connectés qui se comportent comme des enfants capricieux dans leur rapport au temps. Intéressant d’ailleurs, quand on sait que les jeunes enfants n’ont pas la notion du temps.
Vous voulez des éléments concrets ? Que se passe-t-il ainsi, en vous, si je vous parle :
– d’une connexion ralentie ou d’un réseau devenu soudain inaccessible ?
– d’un délai de 7 jours pour recevoir la superbe paire de chaussures ou d’escarpins que vous venez de commander en ligne ?
– d’une attente minimum de 15mn, avec la petite musique d’ambiance pour plus de confort, avant que la hot line de votre opérateur télécom ou de votre compagnie d’assurance daigne vous répondre ?
– d’un virement bancaire qui ne sera pris en compte que lundi, alors que vous venez de passer votre ordre de virement le samedi matin à la première heure ?
– ou encore d’un chemin en 5 clics pour réserver un billet d’avion ou une chambre d’hôtel ?
Je risque au minimum de déclencher de la crispation, voire, dans la plupart des cas, une crise d’énervement aiguë.
Nous voulons donc tout, et surtout sans attendre !
J’ai rencontré un jeune entrepreneur talentueux, dont le parcours et les succès impressionnent. C’était il y a deux ans, un matin de février. Je le voyais pour la première fois, pour échanger sur son expérience, mais surtout sur toutes ces choses dont on ne parle jamais : les doutes, les questionnements, les peurs et les risques auxquels on s’expose.
Les premières minutes de l’échange passent. Je trouve mon interlocuteur fatigué, un peu tendu même. Il me livre un discours convenu, presque “marketé”, de sa vie d’entrepreneur. Je me rends compte que nous sommes en train de passer à côté de la vérité à laquelle je souhaite avoir accès. Une question me mord les lèvres ; une question simplissime ; une question que l’on ne pose jamais.
Je l’interromps, et lui livre cette interrogation qui me taraude : « Es-tu heureux ? »
La réponse ne vient pas. Un silence s’installe. Le jeune startuper devant moi vient de craquer…
Il était littéralement à bout de souffle à force d’urgence, à bout de sens à force d’action. Il était devenu un patron animé par l’urgence et la croissance, mais totalement déconnecté du sens de ce qu’il faisait. Il était surtout devenu celui qu’il n’était pas au plus profond de lui-même.
Il s’est confondu en excuses, sans se rendre compte qu’il me faisait un superbe cadeau : il m’offrait sa vérité d’entrepreneur, cette vérité camouflée derrière les postures positives et les numéros d’acteur sur scène ; il m’apportait un regard sur les difficultés majeures auxquelles tous les entrepreneurs font face au quotidien, et sur la vigilance permanente dont ils doivent faire preuve.
Il me donnait tout simplement à voir ce que ça donne quand on s’est perdu dans la course au temps.
Il me faisait enfin et surtout passer une vraie leçon de sagesse, pour les salariés comme pour les entrepreneurs : Il faut parfois savoir perdre son temps, pour être sûr d’en gagner vraiment.
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5 commentaires
detective privé paris
Je n’ai, en tout cas, pas perdu mon temps avec cet article
fabien
Super intéressant génial merci !
Lydia
Vraiment un excellent article, qui se lit en un rien de temps
C’est vrai que dans notre monde, etre lent par consience du travail bien fait nous relais à une image d’inéfficacité et de procrastineur confirmé. Je ne pense pas que « la pression s’inversera ». Parcontre, il est possible de trouver un équilibre et de s’approcher de l’efficience
Paul
C’est vrai qu’aujourd’hui tout doit aller vite et qu’on ne prend plus le temps de faire les choses tranquillement. Pourtant, je fais partie de ceux qui pensent être capables de faire la part des choses : j’essaie de travailler vite, d’engloutir des tonnes d’informations rapidement, d’être réactif avec mes collaborateurs et pourtant mais tout ça avec comme objectif de me dégager du temps libre, du temps avec ma famille, mes enfants.
PPer
Super article !
Je suis touché car c’est clairement quelque chose que je vis, la lenteur (qui vient de ma difficulté à aller vite). Je me suis donc détaché de l’idée de Start Up.
Merci pour ce témoignage