Réfléchissez bien : à quand remonte votre dernière fois ?
Vous savez, cette chose que vous avez faite et qui n’était pas, mais alors pas raisonnable du tout ?
Saut en parachute, table étoilée, voiture de sport, escapade lointaine, sac ou escarpins bien trop chers, les petites folies et grandes transgressions d’aujourd’hui ont remplacé les chemins de traverse et l’école buissonnière d’hier. Et dans ce domaine, chacun son style et sa déraison singulière.
Pourtant, nos réponses ont toutes un point commun… ou plutôt deux : si être déraisonnable nous rend tous terriblement vivants, c’est une attitude que l’on se refuse pourtant tous dans l’entreprise. Comme si “être vivant” et “travailler” ne pouvaient faire bon ménage.
Car dans l’entreprise, on analyse, on rationalise, on audite, on “reporte” (au sens reporting), on projette, on formalise, on maximise, on écoute ce que la raison nous dicte. Tout cela en oubliant une évidence : le raisonnement est une intelligence qui sait aussi déraisonner !
La preuve ? Réfléchissez à vos dernières erreurs de jugement et à celles de vos collaborateurs. Vous avez là la meilleure des réponses.
Il existe pourtant une autre intelligence à laquelle on ne fait pas suffisamment confiance : l’intelligence des sensations. En d’autres mots, écouter en soi ce qui résonne, et non seulement ce qui raisonne ; et redonner le pouvoir au corps pour entendre ce que les sens nous racontent. Pas simple tant notre modèle éducatif a tout fait pour façonner des êtres qui raisonnent plus qu’ils ne ressentent.
Mais pourquoi donc serait-elle digne de confiance cette intelligence des sensations ?
Pour deux raisons :
– Le corps parle et il a un langage inné.
– Les sens nous éclairent sur les choses justes que souvent la raison ne veut pas ou ne peut pas voir.
Le corps aurait donc un langage inné.
C’est ce qu’ont cherché à montrer Jessica Tracy et David Matsumoto, deux chercheurs en psychologie, originaires de Vancouver et de San Francisco. Ils ont publié, en 2008, les résultats surprenants d’une étude portant sur « l’expression spontanée de la fierté et de la honte ». En analysant des images prises lors des jeux paralympiques de Sydney, en 2004, ils ont tout d’abord observé que les athlètes levaient tous les bras au ciel en franchissant la ligne d’arrivée. Mais, plus inattendu sans doute, les athlètes nés aveugles faisaient exactement la même chose, alors même qu’ils n’ont jamais vu personne le faire…
Le corps exprime donc des choses que la raison ne contrôle pas.
Peut-être avez-vous déjà couru un 10km, un semi-marathon, un marathon, voire plus pour les plus endurants. Si c’est le cas, vous avez sans doute affirmé, au moins une fois, que c’est le seul mental qui aide à aller jusqu’au bout de l’effort et de la souffrance. Je l’ai dit exactement de la même façon, sans me douter qu’il y avait une catégorie de coureurs pour lesquels les résonances et les dissonances du corps ont une importance plus grande encore. Malek Boukerchi est de ceux-là. Malek est un coureur d’ultra-distance en milieu hostile. Pour faire concret, il court des distances de 500 à 2.000 km en plein désert et en autonomie totale, avec pour seuls bagages, une boussole, de l’eau et un sac à dos. Rassurez-vous, ils ne sont que 200 dans le monde !
Et comme Malek n’est décidément pas un homme comme vous et moi, il s’est offert, pour ses 40 ans, l’Antartic Ice Marathon : 55 coureurs venus de 25 pays pour une “petite foulée” de 42,195 km sur les glaces de l’Antarctique, par des températures inférieures à -30°C. J’en vois qui frissonnent déjà !
Mais Malek ne s’est pas contenté de cela. Le lendemain, il se présentait sur la ligne de départ d’un nouveau défi : une course de 100 km, dans des conditions dantesques ; la tempête s’était levée pendant la nuit, la température s’étaient effondrée en dessous des -50°C, et la visibilité n’était plus que d’un mètre. Il furent cinq à prendre le départ, et cinq à franchir la ligne d’arrivée, victorieux d’une exploration au plus près de leurs limites.
Il faut évidemment un mental à tout épreuve pour réussir un tel exploit. Mais il faut aussi autre chose, plus importante encore. Et c’est à cela que Malek s’est entrainé des mois durant : non pas courir, mais écouter son corps courir.
Quand on entend Malek conter son histoire, on se demande combien d’entre nous se donnent le droit d’écouter leur corps agir, dans le quotidien de leur entreprise ?
– Combien d’entre nous s’autorisent à exprimer véritablement leurs émotions, pour créer d’autres liens relationnels ?
– Combien d’entre nous décident en fonction de leurs intuitions ?
– Combien d’entre nous laissent parler leurs sensations pour remettre du plaisir dans l’action et les obligations ?
Bien peu sans doute. Les laisser transparaître est souvent perçu comme de la faiblesse, de l’immaturité, voire même de l’inconséquence. Elles sont pourtant les ressorts, parfois les fulgurances, des artistes, des sportifs mais aussi des entrepreneurs. Bref de tous ceux qui ont à créer, à inventer, à éclairer différemment.
Soyons donc convaincus de leur importance, et pour une seule raison.
« Les idées perdront toujours leur procès contre les sensations. » (De Rivarol)
Malek Boukerchi est conférencier en intelligences relationnelles et en dynamiques coopératives, animateur expert en pédagogies ludo-coopératives et ultra-marathonien de l’extrême (courses dans les déserts chauds et polaires). Il a publié deux ouvrages en 2015 : « Il était une fois en Antarctique », éditions First ; « Contes à gratter pour découvrir la richesse de la vie », éditions Jouvence.
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