On finirait presque par croire que créer une entreprise se dit “monter une Startup”, tant le mot est devenu à la mode. Le terme Startup qui signifiait, il y a peu encore, une “entreprise technologique à fort potentiel de croissance”, se prête désormais à tout type d’initiative. Qu’il s’agisse d’un nouveau concept d’épicerie, d’une salle de sport ou d’une application mobile révolutionnaire, tout créateur d’entreprise se présente désormais comme un startupper ! Politiques et médias ont donc fait du bon boulot : il est devenu “cool” de créer une entreprise.
Cependant, la communication sur les Startups est en train de partir à la dérive. Quel est aujourd’hui le premier critère pour évoquer le succès et le potentiel d’une jeune entreprise ? Le montant des fonds levés ! L’audace d’entreprendre a aujourd’hui la couleur des euros et se mesure sur la capacité du dirigeant à déporter son risque sur les épaules de financiers bien dotés…
Mais souvenez-vous qu’il y a eu d’autres façons de parler d’entrepreneuriat. Peut-être serait-il donc temps de reparler d’investissement industriel, de croissance rentable, d’entreprises familiales qui traversent les âges, d’emplois que l’on crée sans délocaliser, d’innovation pérenne ou encore de qualité de travail et de vie…
C’est pour s’en convaincre que l’antenne parisienne de Réseau Entreprendre est partie, le 17 juin dernier, à la rencontre de son homologue angevine dirigée par Thibault Beucher. Une “Learning Expedition”, constituée de 15 entrepreneurs parisiens, venus écouter battre le cœur entrepreneurial d’une belle et dynamique région de France.
Ce sont donc 4 entreprises, 4 histoires toutes singulières, qu’il nous a été donné de découvrir lors de cette escapade au pays des sens, de la prise de risque et de l’engagement.
Giffard
Prenez Giffard, une entreprise familiale de liqueurs et de sirops. Elle a été créée en 1885 par l’arrière-grand-père d’Edith et Bruno Giffard, les codirigeants actuels. Leurs parcours respectifs, dans les Travaux Publics et la Criminologie, les avaient éloignés de cette fameuse « menthe-pastille » qui a fait la renommée du liquoriste. Ils ont donc décidé, en 1992, de racheter les parts de leurs cousins, et de donner une nouvelle impulsion à une activité aujourd’hui déclinée en deux grands pôles : les sirops et les liqueurs.
« Rester indépendants pour garder sa liberté d’entrepreneur », c’était là sans doute le plus grand des objectifs. Il fallait donc développer, gérer sans spéculation hasardeuse ni prudence excessive, générer des bénéfices, conserver les dividendes pour racheter les parts des cédants. Une construction mesurée et solide, tout en regardant loin, notamment hors des frontières. Car les ambitions sont fortes : « devenir la marque préférée des barmen, partout dans le monde ». C’est donc désormais en Asie et au Moyen Orient – L’Arabie Saoudite est l’un de leurs plus gros marchés – que coulent leurs jus fruités et colorés. De nouveaux marchés pour préparer peu à peu un autre défi, celui du passage de relais à la 5ème génération. Rien d’obligatoire bien évidemment, mais c’est du sirop d’entrepreneur qui coule dans les veines de cette famille-là…
Brioche Pasquier
Le « pitch », en jargon startup, c’est un exercice de présentation synthétique et percutant, réalisé face à des investisseurs, dans l’espoir de lever des fonds. Dans un autre monde, le « pitch », c’est une réalité industrielle incontestable. Voyez plutôt : cette petite brioche fourrée au chocolat, inventée en 1986 pour faciliter la consommation de viennoiserie hors de chez soi, représente à elle seule un chiffre d’affaires de 80M€ chaque année. Son inventeur ou plutôt ses inventeurs : 4 frères qui ont fondé Brioche Pasquier en 1974, une entreprise devenue l’un des principaux acteurs agro-alimentaires français ; un groupe de 3200 salariés réalisant un chiffre d’affaires de 639 M€.
C’est à Brissac, près d’Angers, que l’entreprise a installé, en 2012, sa dernière entité industrielle ; Un bâtiment de 30.000m2 presque entièrement automatisé, dont il sort chaque année 15.000 tonnes de biscottes, soit près de 200 millions d’unités. Sachant qu’il faut 15h pour produire une biscotte, bienvenue dans une industrie de pointe qui sent bon comme une petite boulangerie de village un dimanche matin…

Photo Coralie Pilard – www.coraliepilard.com
Parler de la réussite de cette entreprise, c’est aussi parler du fil conducteur qui a conduit leur politique de croissance externe. Ils ont fait le choix de ne se tourner que vers des entreprises familiales, qui avaient un “produit fort” d’une part, et qui étaient confrontées à une “problématique de succession” d’autre part. Une philosophie d’investissement, respectueuse du capital et des hommes, pour mettre en œuvre la vision d’un père trop tôt disparu ; un père convaincu que « la viennoiserie deviendrait un produit de grande consommation ».
Evolis
Vous en avez forcément tenu une entre les mains ; vous savez, ces cartes en plastique qui ont toutes le même format, partout dans le monde, et qui nous permettent aujourd’hui de payer, de nous déplacer, de nous présenter ou de nous identifier… Un compagnon de vie que l’on retrouve sous toutes les couleurs, comme le prolongement de notre identité.
C’est à ce marché que s’est attaqué Emmanuel Picot, un entrepreneur dans l’âme, en 2000. Face à lui, des mastodontes industriels. Qu’importe, il sortira du cadre et regardera le marché différemment. Les cartes seront désormais personnalisées sur des machines de bureau et non plus sur de grandes lignes industrielles. Avec Evolis, Emmanuel Picot prenait ainsi le virage de la bureautique… et tout le monde de court aussi. Et l’on peut dire que le pari a fonctionné. Au bout de 16 ans, l’entreprise emploie 300 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires annuel de 77M€, dont 90% à l’export. En 2015, 725 millions de cartes ont été imprimées sur des machines et solutions Evolis.

Le chiffre d’affaires d’Evolis progresse de 39,2% en 2015
Mais si Evolis court le monde, ses salariés restent angevins. Ici, on ne parle pas de délocalisation. On peut donc être une entreprise de croissance, avoir un métier de fabrication et d’assemblage de composants complexes, voir une bonne partie de son activité reposer sur des opérations manuelles, et tout faire pour maintenir l’emploi dans la région angevine. On peut ainsi être le patron ambitieux d’une société cotée, et construire son projet professionnel autour d’un engagement social et du bien-être des salariés. Un succès qui ne se mesure pas dans les seuls chiffres d’un tableur excel, mais aussi dans les poignées de mains et les regards d’employés heureux d’être là.
Ma Formation Officinale
Notre Learning Expedition s’est terminée par une nouvelle rencontre étonnante. C’est dans un vieil hôtel particulier du centre d’Angers, entièrement réhabilité, que nous avons fait une intrusion dans l’univers du e-learning. Charles Woitiez, l’entrepreneur qui nous reçoit, dénote dans cet univers figé par le temps. Parce qu’ici, entre les marbres des murs et sous les lustres anciens, on parle plateforme web, développement personnel continu, formation collaborative et innovation dans l’univers des pharmacies.
Ma Formation Officinale a été créée en 2007 pour permettre aux pharmaciens et à leurs collaborateurs de se former sans contrainte de disponibilité et de déplacement. Elle s’appuie aujourd’hui sur un réseau de 80 médecins spécialistes, emploie 5 pharmaciens à temps plein sur les parcours de formation, et forme 23.000 apprenants à distance. Avec un revenu qui repose sur une formule d’abonnement et un contenu facilement adaptable à l’étranger, le modèle est hautement “scalable” comme l’on dit dans la langue des startuppers. Du coup le développement à grande échelle est lancé : ils viennent de s’implanter en Espagne et de lancer NaoCare, une solution pour faciliter l’éducation des patients par les professionnels de santé. Une pépite angevine est née !
C’est donc tout cela que notre Learning Expedition a vécu dans un concentré de journée, forcément trop court. Nous aurions tellement aimé écouter d’autres destins d’entrepreneurs, toucher du doigt d’autres objets produits par la main de l’homme ou sortis de chaines mécanisées, sentir d’autres parfums et goûter d’autres saveurs. Nous aurions surtout voulu savoir, plus fortement encore, que notre pays parfois si morose, vibre pourtant d’une incroyable énergie créatrice.
Une énergie et une volonté dont on a pu mesurer, au fil des mots et des visites, à quel point elles se mariaient bien à la douceur angevine.
Merci donc à Bruno Giffard, Louis-Marie Pasquier, Emmanuel Picot, Charles Woitiez, Thibault Beucher et Cyrille Saint-Olive, pour nous avoir offert un si beau voyage en terre d’entrepreneurs.
Commentez cet article
Aucun commentaire