J’ai vécu, il y a trois ans, une faillite d’entreprise provoquée par la défaillance d’un client, et le non paiement de créances d’un montant très significatif. Autant dire que le sujet des retards de paiement est, pour moi, un sujet hautement sensible. Et pourtant, malgré cette expérience malheureuse, je continue à faire face à ces comportements généralisés de mauvais payeurs qui fragilisent toute l’économie française, et tout particulièrement celle que les entrepreneurs inventent.
Il faut dire que les retards de paiement sont devenus, en France, un usage, une habitude, presque un phénomène culturel.
- Deux entreprises sur trois paient leurs fournisseurs et sous-traitants en retard
- Les plus mauvais payeurs sont les grandes organisations et les ETI : 91,6% règlent leurs fournisseurs avec un retard de 1 à 30 jours. Et dans le peloton de tête, les établissements publics et les collectivités territoriales de plus de 250 salariés qui affichent respectivement 19,5 jours et 18,8 jours de retard moyen…
- La France et le Royaume Unis font partie des mauvais élèves européens, avec respectivement 38,3% et 24,1% d’entreprises qui ont payé leurs fournisseurs sans retard en 2014 (74,8% en Allemagne)
- Le montant des retards de paiement potentiels des 120 grandes entreprises s’établissait, à fin avril 2015, à 3,97 milliards d’euros (étude Altares sur 211 millions de factures)
La conséquence de ces dérives est à la fois simple, injuste et dramatique : les retards de paiement sont à l’origine de 25% des faillites de PME !
Cette information n’est pas assez communiquée. Elle devrait pourtant être largement diffusée, relayée, martelée, dans un pays qui se positionne comme l’un des plus actifs et moteur en matière d’accompagnement à la création d’entreprise : la réussite et l’esprit entrepreneurial sont encouragés et ultra-médiatisés ; des initiatives d’incubateurs publiques et privés fleurissent un peu partout en France ; des réseaux de Business Angels s’organisent avec dynamisme pour amorcer le démarrage de jeunes entreprises innovantes ; des plateformes de crowdfunding se déploient pour faire du financement de l’initiative une action collaborative ; les réseaux bancaires rivalisent de messages positifs, et pas toujours convaincants, pour draguer une population dont ils ont tant de mal à comprendre les vrais enjeux et contraintes.
Et pendant ce temps là, des petits patrons multiplient les nuits sans sommeil, les explications honteuses – et coûteuses – auprès de l’URSSAF et du Trésor Public pour tenter d’obtenir un aménagement de leurs échéances, les négociations houleuses, et souvent infructueuses avec leur chargé de compte pour un accord sur une ligne de découvert… Les petits patrons souffrent en silence et en solitaire de ces retards de paiement qui fragilisent, voire condamnent les efforts ambitieux, la volonté de grandir, et les chances de survie de leur activité. Injuste ? Oui mais personne ne semble réellement s’en offusquer.
Mais d’où vient cette drôle d’idée de payer une prestation des jours, voire des semaines après sa réalisation ? Pourquoi devrait-on faire supporter à celui qui a fait l’effort de créer de la valeur, de s’exposer au paiement tardif, voire au non paiement de cette valeur créée ? Pourquoi reviendrait-il à celui-ci de faire toutes les démarches, coûteuses, stressantes, contraignantes – car elles l’éloignent du sujet clé du développement de son activité – pour obtenir la juste contrepartie du travail accompli ?
Etre un patron de PME, cela revient à être un patron singulier : celui d’une compagnie aérienne qui se ferait régler le vol effectué une fois les voyageurs arrivés à bon port, mais qui devrait courir après chacun de ses clients pour que ceux-ci règlent leur billet.
Le retard de paiement, pour une petite entreprise, est un facteur de fragilisation extrême.
C’est :
– Accroître le BFR de l’entreprise, dont on sait bien qu’il n’est pas ou mal financé par les banques. Il faut donc trouver des solutions alternatives et y consacrer du temps ;
– Ne plus avoir les moyens d’investir sur des actions en faveur du développement de l’entreprise : recrutement, recours à des prestataires, investissement ;
– Installer l’entrepreneur dans un rôle qui n’est pas le sien : banquier (il finance la trésorerie de ses clients) ;
– Fragiliser l’entrepreneur dans sa posture de dirigeant. L’inquiétude, la sensation d’exposition au risque sans pouvoir agir, le sentiment de dépendance, sont autant d’éléments qui nuisent à la lucidité et aux bonnes décisions.
Les grandes organisations doivent comprendre que les petites entreprises n’ont pas de temps pour gérer les problématiques de recouvrement. Elles n’ont pas les ressources ou les compétences en interne pour s’y consacrer et les maitriser ; elles n’ont pas un accès facile au crédit ; leur situation financière est un indicateur clé pour emporter la confiance des tiers et continuer à se développer ; la question des délais de paiement n’est pas un sujet de négociation ou un enjeu de rapport de force, mais un vrai sujet de croissance voire de survie ; le temps que la petite entreprise leur a accordé aurait pu être consacré à un autre projet sécurisé car, lui, réglé en temps et en heure.
Les grandes organisations doivent comprendre que c’est leur fonctionnement même qui est à revoir :
– Les collaborateurs salariés sont totalement déconnectés des questions de trésorerie, gérées par le département financier. L’importance du bon paiement en temps et en heure est donc une donnée abstraite, gérée par un service que l’on ne connaît pas. Combien de dirigeants ont vu leur démarche de relance balayée d’un revers de la main par cette phrase laconique et facile : « voyez-cela avec le service comptable… » ;
– La rémunération des flux financiers est devenue un enjeu prioritaire, au détriment de l’économie réelle, celle d’une création de valeur par le travail et l’imagination ;
– La rigidité de leurs procédures internes ne correspond pas à la réalité économique des entreprises prestataires avec lesquelles elles travaillent ;
– Leur taille et les volumes d’affaires qu’elles traitent créent une distorsion dans la perception des enjeux : payer en retard un prestataire est anodin, quand ce bon règlement est vital pour que le petit entrepreneur puisse faire face à ses obligations et échéances.
L’idée de payer en retard est désormais tellement installée et acceptée en France que l’on a fait du bon paiement un sujet de récompense… Oui oui, vous pouvez vous pincer, vous ne rêvez pas ! Respecter un engagement contractuel est un acte qui permet d’obtenir un prix : le prix des délais de paiement remis chaque année à ceux qui se distinguent par leurs pratiques justes. Un comble quand on y réfléchit bien… car rappelons que si le contrat oblige le prestataire à délivrer un service dans des conditions définies, il oblige également celui qui bénéficie de ces prestations à les régler dans des conditions elles aussi définies.
Le cru 2015 a donc récompensé les Vignerons du Buzet (Prix PME), Orange (Prix ETI-Grand groupe), Plateforme achats finances Sud-Est du commissariat des Armées (Prix Organisme public), Département de l’Aube (Prix Territoire), Ville de Paris (Prix spécial du jury), EDF (Mention spéciale). On privilégie la récompense des « relativement » bons élèves à la sanction des mauvais, bien plus nombreux pourtant…
D’autres solutions permettraient pourtant de replacer le respect des délais de paiement au cœur de notre économie :
– Introduire une culture du BFR négatif favorisant le paiement à l’avance des prestations réalisées par les petites entreprises pour le compte de grands groupes publics ou privés.
– Réglementer le système des acomptes. En faisant d’un 50% d’acompte une norme, on permettrait de réduire le risque de celui qui réalise, tout en évitant les déséquilibre liés aux rapports de force (ex : se voir imposer un acompte de 40% par son fournisseur, tout en ne parvenant pas à obtenir un acompte auprès de son client).
– Créer une base publique des mauvais payeurs, présentant le délai moyen de paiement des factures, le nombre de contentieux en cours, etc. Un rêve idéaliste et lointain sans doute, mais qui permettrait de faire des mauvaises habitudes un aussi lointain souvenir.
– Alourdir très fortement les sanctions envers les entreprises qui font des retards de paiement une pratique habituelle.
Mais la toute première chose à faire serait sans doute plus simple encore : retrouver le goût du respect pour le travail et les engagements, remettre le savoir-être au centre de la relation client, et considérer que la bienveillance et le souci de l’autre sont les piliers d’une relation durable et constructive. Vous voulez aider les entrepreneurs ? Commencez donc par les payer !
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