On peut dire que l’annonce a créé quelques remous dans l’assistance : il existerait une prédisposition à entreprendre, et plus fort encore, ce serait en partie une histoire de gènes !
C’est ce message qu’Etienne St-Jean, un Professeur-Chercheur de l’Université du Québec, a choisi de faire passer en introduction du Congrès Pro’Créa qui s’est tenu les 11 et 12 juin dernier. Il faut dire que le thème de la 5ème édition de cet événement biannuel, dédié à la création et à la transmission d’entreprises, avait des accents volontairement provocateurs : « Accompagnateurs, obsolescence programmée ».
J’ai donc voulu en savoir plus sur cette question de gènes et de disposition à entreprendre en rencontrant ce Professeur au discours sans détours.
Vous n’hésitez pas à avancer que nous serions plus ou moins prédisposés à entreprendre, autrement dit à l’audace et à la prise de risque. Que signifie au juste être prédisposé ? Et comment cela se traduit-il ?
Il y a eu, dans les 70-80, de nombreux travaux menés sur la psychologie et la personnalité des entrepreneurs ; des travaux qui se sont ensuite essoufflés, notamment sous l’impulsion du chercheur William Gartner qui affirmait que si l’on ne trouvait rien d’intéressant sur le sujet, c’est qu’il n’y avait tout simplement rien à trouver.
En réalité, si l’on ne trouvait rien, c’est sans doute pour une raison toute autre, principalement liée à la qualité de l’échantillonnage : on mélangeait, pour mener ces études, des profils d’entreprises fondamentalement différents, et par conséquent des styles de dirigeants eux aussi très hétérogènes, en termes de personnalités, aspirations et ambitions, valeurs, rapport à la liberté, ou encore modes de fonctionnement. On cherchait à comparer l’incomparable.
Par ses travaux sur la génétique, Scott Shane, en collaboration avec Nicos Nicolaou, a introduit une nouvelle façon d’étudier l’entrepreneur et la performance entrepreneuriale. Il se dégage de leurs travaux que les gènes DRD2 et DRD4, semblent influencer les choix vocationnels, notamment l’entrepreneuriat, via :
Les réactions chimiques cérébrales : DRD2 augmenterait la production de plaisir dans les situations de risque ;
La personnalité : DRD4 augmenterait l’extraversion, une qualité utile pour vendre, entrer en contact et convaincre ;
L’interaction avec l’environnement : DRD4 augmenterait la saillance des informations, et donc la capacité de celui qui les reçoit à identifier et saisir des opportunités.
En étudiant un large échantillon constitué de jumeaux homozygotes et hétérozygotes, Scott Shane est arrivé à la conclusion que la génétique intervient pour 48% dans le choix de devenir entrepreneur.
Par ailleurs, les travaux d’Olivier Torrès (Président de l’Observatoire AMAROK et professeur à l’Université de Montpellier) sur la santé des entrepreneurs, ont montré que, chez les entrepreneurs, les facteurs pathogènes (surcharge, incertitude, stress et solitude) sont largement compensés par des facteurs salutogènes (optimisme, maitrise de son destin, endurance). Sans le dire ouvertement, c’est donc à la prédisposition qu’il fait indirectement référence.
On serait donc programmé pour être entrepreneur, ou plus exactement pour être un type d’entrepreneur. De la même façon que l’on est prédisposé au bonheur. D’une façon générale, on observe que les entrepreneurs sont plus optimistes, plus extravertis, plus confiants face à la vie et à la façon de la conduire. Ils considèrent que le lieu de contrôle de leur vie et de leur chemin est interne (capacité à agir plus qu’à subir). Ils ne sont pas animés par le réflexe de victimisation.
Si la génétique a un rôle à jouer, est-il donc judicieux d’encourager autant l’audace entrepreneuriale (je pense notamment aux messages forts passés pour inciter à la création d’entreprise comme solution de retour à l’emploi) ?
En France, on cherche à placer rapidement les demandeurs d’emplois en pariant sur l’effet vertueux du retour à l’activité. En les remettant dans le système actif, on considère ainsi contribuer à leur redonner confiance, à les aider à se sentir légitimes et utiles, à retrouver un équilibre de vie.
Toutefois, en encourageant de façon excessive le retour à l’activité par la création d’entreprise, on conduit bon nombre de demandeurs d’emploi, qui n’ont pas le profil, vers un entrepreneuriat défensif (je crée comme un dernier recours). Un dispositif lourd d’accompagnement est alors nécessaire pour tenter d’éviter les échecs trop nombreux. Il me semble que cet accompagnement, pour ce public évoqué, passe à côté de l’essentiel : aider le demandeur d’emploi à comprendre ses talents, ses dispositions et qualités humaines pour mieux réinventer son parcours professionnel ; un parcours qui ne prendra pas forcément la direction de la création d’entreprise. L’accompagnateur doit savoir coacher, et donc faire preuve d’une grande capacité d’écoute et de questionnement, bien plus que transmettre en délivrant de seuls conseils, outils et techniques pour « bien » entreprendre.
On assiste en France à une explosion du nombre de structures d’accompagnement, sous toutes les formes, publiques ou privées (couveuses, pépinières, incubateurs, accélérateurs, etc.). Cet accompagnement est-il toujours utile et forcément efficace, quels que soient les entrepreneurs accompagnés ?
Le projet GATE mené aux Etats-Unis, entre 2003 et 2005, auprès de 4.198 entrepreneurs, apporte un éclairage intéressant, et pour le moins inattendu, sur l’efficacité de l’accompagnement quant au développement et à la viabilité des entreprises dans le temps.
Deux groupes distincts, et égaux en nombre, ont été constitués par tirage au sort.
Le premier groupe s’est vu offrir un accompagnement et de la formation (au besoin) pendant 4 mois en moyenne. Le second groupe a été privé de toute forme de soutien.
Il ressort de cette expérience que :
L’accompagnement a indéniablement eu un effet d’accélération sur les 18 premiers mois : les entreprises qui ont bénéficié du soutien se sont développées plus vite que celles qui en ont été privées.
En revanche, sur le long terme (au bout des 60 mois), aucune différence n’est observée entre les deux groupes en termes de performance et de viabilité.
Seuls les entrepreneurs tolérants aux risques, affichent dans chacun des deux groupes, des résultats supérieurs à la moyenne quand à la pérennité de leur organisation.
Que peut-on donc en déduire ?
Que l’accompagnement a un vrai bénéfice à court terme, et ce pour une raison simple : les accompagnateurs sont des empêcheurs de tourner en rond! Ils questionnent, challengent, confrontent, et contribuent ainsi à donner une véritable impulsion aux projets. D’ou l’accélération constatée sur les premiers mois dans le groupe accompagné.
Qu’il n’a aucun effet réel à long terme. Ce résultat va donc à l’encontre des statistiques positives régulièrement avancées sur l’efficacité de l’accompagnement. Il semble démontrer une chose : ces statistiques sont biaisées par le filtre avoué ou inconscient du départ, qui vise à sélectionner les projets et entrepreneurs en fonction du potentiel perçu. C’est la qualité de la sélection qui serait donc à l’origine des bons résultats de l’accompagnement, et non l’accompagnement lui-même. Un message pas toujours facile à entendre…
Il est de bon ton de dire que les américains (US et Canada) valorisent fortement la valeur de l’échec, alors que les Français s’en protègent, voire pis, le rejettent. Le confirmez-vous et diriez-vous que cela change, du coup, les profils d’entrepreneurs ?
Il est vrai qu’aux US, il est courant de dire qu’un entrepreneur n’est rien tant qu’il n’a pas déjà échoué trois fois ; un message largement relayé par les incubateurs ou les fonds d’investissement. Est-ce une seule différence de culture et de rapport à l’échec ? Je ne le pense pas. C’est surtout lié, me semble-t-il, à des dispositifs (sécurité sociale, chômage, etc.) à la fois moins protecteurs et moins durables.
Un salarié qui se fait licencier ou un entrepreneur qui échoue aux US n’a pas le choix : il doit repartir coûte que coûte, et vite. On prend donc, par nécessité, des initiatives entrepreneuriales, au risque d’échouer de nouveau et dans un délai court. Si l’on entreprend plus et plus souvent, il y a donc mathématiquement beaucoup plus de chance d’échouer… C’est ce qui imprègne le modèle américain.
Toutefois, en survalorisant la vertu que l’on accorderait à l’échec, on occulte une vérité, révélée par l’enquête Global Entrepreneurship Monitor, menée dans 70 pays en 2013 : si les entrepreneurs sont en moyenne plus heureux que les autres actifs, les entrepreneurs défensifs (qui entreprennent par nécessité) sont en moyenne plus malheureux que les entrepreneurs et les salariés.
Une politique publique qui pousserait à entreprendre en mode défensif (avec un objectif macro de création d’emplois) serait ainsi malsaine ; elle aurait tendance à rendre les gens malheureux.
Étienne St-Jean, Ph.D. est titulaire de la Chaire de recherche UQTR sur la carrière entrepreneuriale et membre de l’Institut de Recherche sur les PME (INRPME) à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il est responsable pour le Québec du Global Entrepreneurship Monitor, la plus grande enquête sur les attitudes, aspirations et activités entrepreneuriales des citoyens de plusieurs pays. Il est également éditeur associé de la revue Journal of Small Business and Entrepreneurship, la plus vieille revue bilingue spécialisée dans le domaine. Ses travaux portent sur l’entrepreneuriat et l’intention d’entreprendre, l’accompagnement et le développement des entrepreneurs par le mentorat, sur la carrière entrepreneuriale et sur le rôle du dirigeant dans les choix stratégiques de la PME, en particulier dans la gestion de la forte croissance. Ses travaux ont été publiés en français et en anglais dans des revues scientifiques, dans des ouvrages collectifs et dans de nombreuses conférences nationales et internationales.
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