«Nous voulons que nos collaborateurs agissent comme des entrepreneurs !» Voici en substance ce à quoi bien des Directions Générales et DRH de grandes organisations – privées ou publiques – réfléchissent aujourd’hui. L’audace et l’initiative sont dans l’air du temps ; la mode est à la startup, à ces structures légères et agiles qui font du temps court, de l’expérimentation et de l’ambiance de travail ludique et décomplexée, la clé de voûte de leur développement ; les jeunes d’aujourd’hui rêvent de devenir acteur du changement et un documentaire sur le bonheur au travail nous rappelle que seuls 11% des actifs français se lèvent le matin avec le sourire… On semble ainsi découvrir, ou redécouvrir si nous l’avions oublié, l’existence d’un lien étroit entre « avoir des projets », « exprimer sa créativité », « prendre du plaisir » et « se montrer performant ». On redécouvre, en somme, les vrais ressorts de l’audace et de la réussite.
Mais si l’idée de transformer les salariés en intrapreneurs parait louable, utile et sans doute nécessaire à bien des égards, une question, toutefois, prédomine : comment faire en sorte que ces mêmes salariés s’autorisent l’audace, intègrent la prise de risque, s’approprient l’inconnu lié à toute initiative, et acceptent l’éventualité de l’échec ? Pas simple lorsque la compétition entre collaborateurs a été érigée comme une vertu et que tout écart, raté ou faiblesse est stigmatisé ou sanctionné ; pas simple encore lorsque l’énergie et l’engagement de l’entreprise ne servent qu’un seul objectif : atteindre coûte que coûte un résultat attendu ; pas simple enfin lorsque l’on parle « carrière » et que l’on conçoit son parcours professionnel comme une construction linéaire, succession de passages obligés et d’étapes validées (« on n’a quand même pas fait tout ça pour risquer de le perdre »). Le salarié est un audacieux de nature dont on a déformé les rêves à l’aune du profit maximisé, de l’excès de contrôle, et du taylorisme.
Pour amorcer le changement, on rivalise alors d’imagination et d’ingéniosité. De séminaires en kick-off, l’audace est approchée et mise en scène sous toutes ses formes : aventure, sport, théâtre, jeux… On fait passer des messages forts, et pourtant l’on passe à côté de l’essentiel : c’est dans le quotidien des hommes et de l’entreprise que se joue la transformation entrepreneuriale. Et c’est par les dirigeants et managers que celle-ci pourra infuser toutes les strates de l’entreprise ; des actions fortes, concrètes et duplicables pour changer durablement les états d’esprit, lever les peurs et favoriser la mise en mouvement et l’expérimentation.
Osez le recrutement décalé
Bannir le réflexe du « recrutement équivalent » qui part du principe que le meilleur profil à recruter occupait la même fonction ailleurs. En cherchant l’adaptabilité instantanée – un professionnel 100% opérationnel tout de suite – on se coupe d’une vraie richesse, celle de celui qui ne sait pas. Car hors de sa zone de confort, le novice doit apprendre vite, se montrer imaginatif et donc se poser les bonnes questions pour accélérer cet apprentissage ; c’est un excellent moyen pour évacuer les pratiques inutiles et les mauvaises habitudes dont l’accumulation pollue aujourd’hui la fonction. Il fera preuve, qui plus est, d’une plus grande motivation ; en lui confiant un poste nouveau pour lui, c’est une marque de confiance qu’on lui accorde, et la chance de progresser et d’apprendre.
Un entrepreneur apprend à développer et diriger son entreprise sur le tas, et c’est ce qui fait toute la magie de l’aventure. Offrez donc de la magie à vos collaborateurs !
Permettez l’échec à répétition
Le rapport à l’échec change, même dans une société comme la nôtre, pourtant gouvernée par la quête d’excellence, par le résultat qui sanctionne, et par le passif durable des erreurs commises. Mais si échouer est dorénavant considéré comme un excellent moyen d’apprendre, une rengaine de manager continue à troubler les esprits des apprentis audacieux : «on peut échouer une fois mais il est interdit de faire deux fois la même erreur». Avouez qu’il y a de quoi rester paralysé après avoir rencontré son premier accident de parcours… Formuler une telle sentence, c’est oublier la disposition de l’Homme à reproduire des scénarios, même les plus négatifs (toujours les mêmes rencontres dans sa vie amoureuse, alors qu’on les sait toxiques ; toujours le même défaut technique en sport alors qu’on a pourtant visionné, revisionné et compris les raisons du mauvais geste, etc.). Il faut parfois du temps au corps et aux sens pour transformer la compréhension et l’intention en réalité.
Autorisez la possibilité des erreurs répétées, c’est la confiance et le plaisir que vous insufflerez. Deux clés indispensables pour réussir.
Offrez l’évasion
Le voyage est une belle métaphore pour parler d’entrepreneuriat et d’audace. Quand on voyage, on s’expose à l’inconnu et aux opportunités, on se confronte à d’autres cultures, on ouvre ses sens à de nouvelles expériences, on questionne son imaginaire. Prenez à présent un cadre salarié se rendant tous les jours de la même façon, au même endroit, et pour une journée complète dans le même bureau. Ses relations sont ses voisins de bureaux : toujours les mêmes. Ses semaines se déroulent selon le même schéma : toujours le même. Et l’on voudrait le voir penser out of the box, prendre des initiatives, voire se mettre en risque ? Impossible !
C’est en changeant physiquement de cadre, en cassant les rythmes et en renouvelant les rencontres que les opportunités se créent. Favoriser les rencontres « inter-services », déstructurer les hiérarchies, assouplir les rythmes de travail, autoriser le télétravail, créer les conditions d’un meilleur équilibre entre temps productif et temps réfléchi… autant de pistes pour libérer la pensée et nourrir les bonnes idées.
Poussez les collaborateurs hors de leurs bureaux. C’est aussi en flânant, sans raison ni objectif, que l’on redonne de l’air à ses envies.
Valorisez le chemin individuel
Prenons un cas concret : un collaborateur se voit confier la responsabilité d’un projet. C’est un sujet ambitieux, qui va nécessiter sa plus grande implication pendant quelques mois. Ce collaborateur sérieux s’investit, organise, structure, construit, fédère ; il s’expose aussi, perçu par tous comme le porteur du projet, garant de sa bonne mise en œuvre et de sa réussite. Puis après des mois d’efforts vers un aboutissement chaque jour plus proche, le couperet tombe, brutal, inattendu, forcément injuste : le projet est abandonné ! La raison ? Il ne la connait pas. Changement de stratégie ? Réduction de budget ? Remise en question de sa propre capacité à mener à terme un projet si ambitieux ? Il ne le sait pas. Son manager lui a appris la nouvelle en le croisant dans le couloir : « ah, au fait, ton projet est abandonné ». Rien de mieux pour terrasser les audaces futures… L’erreur commise n’est pas l’abandon du projet, ni même, pourrait-on dire, la forme de sa communication. Il y a erreur lorsqu’on n’insuffle pas dans l’entreprise, et auprès de chaque collaborateur, l’idée de l’expérience, la chance « égoïste » de travailler sur un projet, l’importance presque secondaire du résultat. S’investir personnellement, quel que soit le sujet, c’est l’opportunité d’apprendre, de rencontrer, de tester ses connaissances et de les porter plus loin encore, de gagner en maturité, de se faire plaisir. C’est cette récompense que l’entreprise offre et garantit à ses salariés lorsqu’elle leur propose la responsabilité d’un projet. Pourquoi ne le clamerait-elle donc pas haut et fort, plutôt que d’attendre un résultat qui, lui, n’est jamais garanti.
Essayez, testez, communiquez, sortez donc… et plus encore, osez désobéir ! Car pour citer Jean Cocteau, « Rien d’audacieux n’existe sans la désobéissance à des règles. »
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3 commentaires
hasnaa timoumi
c’est de la théorie, c’est difficile de le pratiquer dans nos entreprise, c’est un changement radical applicable d’ici 2050
Stéphane DEGONDE
Intéressant votre observation. Le premier pas du changement est la disposition à changer, autrement dit le fait tout simple d’y croire. Impossible de faire voler un avion à l’énergie solaire ? Bertrand Piccard, un audacieux suffisamment fou pour y croire, est en train de nous prouver le contraire avec Solar Impulse (http://www.solarimpulse.com). Il a mis 10 ans pour faire de son rêve une réalité.
Impossible d’agir dans votre entreprise ? Allez, essayez juste pour voir…
Jean-Christian FAILLANT
@hasnaa timoumi : « Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile. » Sénèque