C’est une clinique pas comme les autres pour de potentiels patients chaque année plus nombreux : 63.000 en 2013. Ces patients, ce sont les échoués de l’initiative entrepreneuriale, des femmes et des hommes confrontés à la faillite de leur entreprise. De tous horizons et de toutes ambitions, ils partageaient un rêve commun : s’épanouir ou se réaliser en construisant une vie professionnelle qui leur ressemble. Ils ont connu la défaillance d’entreprise, un véritable tsunami qui dans bien des cas dévaste tout sur son passage : l’estime de soi, la famille, l’existence sociale, les revenus et le patrimoine, les projets futurs…
Entrepreneur de cœur, et préoccupé par ces accidentés aux talents multiples et singuliers que l’on tend à laisser sur le bord de la route, Philippe Rambaud a décidé d’agir. Il s’est investi dans ce projet ambitieux comme on se lance dans un projet d’entreprise : il s’est entouré d’un partenaire solide (EY – Ernst&Young) ; il a convaincu et rassemblé des experts bénévoles (coachs, dirigeants d’entreprise) ; il a testé son concept à Bordeaux avant de l’étendre sur 9 autres villes françaises ; il a communiqué et donné de la visibilité au courage et à l’énergie déployée.
L’association “60.000 rebonds” est née en 2012. Son pari : reconstruire, redonner de la dignité, de la confiance et de la vitalité à ces entrepreneurs qui ont déjà essayé et déjà échoué, et qui possèdent donc un trésor immense : l’expérience.
Rencontre !
60.000 rebonds n’est pas votre première initiative d’entrepreneur. En quoi ce projet est-il, pour vous, différent des autres ?
Au risque de surprendre, il n’est pas si différent que cela de ma première expérience d’entrepreneur. Ma première entreprise et cette aventure associative partagent en effet une chose essentielle : elles tirent leur richesse de leur capital humain. Elles sont l’une comme l’autre une aventure collective, qui se rassemble autour d’une vision, de la mise en œuvre d’une stratégie et d’un projet d’animation et de transformation au quotidien.
J’ai créé ma première entreprise à 49 ans, et connu la faillite 8 ans plus tard. Je l’ai vécue comme un drame partagé. Ce n’est pas que notre responsabilité éventuelle qui était en jeu, mais le désarroi dans lequel cet événement plongeait l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise. J’avais l’impression d’être un capitaine de navire qui voit son navire sombrer et son équipage courir à la noyade. J’ai eu le sentiment d’un gâchis immense.
J’ai aujourd’hui 62 ans et toujours ce besoin d’aventure en moi, l’envie d’aller à la conquête, de grandir et de partager. La maturité, le recul et l’expérience m’ont conduit à m’engager au service des autres, en aidant ceux qui ont déjà risqué à retrouver le goût des défis et de la réalisation d’eux même. Ce nouveau projet n’a rien de commercial ou financier. C’est une action pour un objectif qui me parait aujourd’hui supérieur : le sens et l’utilité.
Vous accueillez des entrepreneurs qui ont fait faillite. Qu’ont en commun tous ces entrepreneurs qui se tournent vers vous ?
Une cicatrice encore vive ! Tous, même ceux d’apparence solide, portent en eux une même fragilité, sournoise car psychique. Rajoutez à cela une situation de précarité affective, sociale et financière, et vous obtenez des entrepreneurs qui ne peuvent plus exprimer le potentiel et les talents qu’ils ont pourtant tous en eux. Ils sont confrontés à une solitude brutale (plus d’entreprise, plus de collaborateurs, de clients, de partenaires, etc.) ; ils sont sans ressources (pas d’assurance chômage pour la plupart d’entre eux) et souvent durablement endettés (cautions bancaires) ; ils sont stigmatisés (indésirables car en situation d’échec) ; et parfois sans équilibre familial (séparation ou divorce).
Un accompagnement psychologique est donc obligatoire pour leur donner les moyens de repartir et s’autoriser à se projeter dans le futur. C’est la première étape clé de notre processus d’aide à la reconstruction. Chacun d’entre eux est accompagné pendant sept séances par un coach professionnel bénévole.
Il est aujourd’hui trop tôt pour tirer les premières conclusions de cette aide qui leur est apportée. 150 entrepreneurs sont aujourd’hui accompagnés dans 10 villes de France. Les premiers rebonds d’entrepreneurs que nous avons soutenus montrent que 70% repartent sur un projet entrepreneurial, et 30% choisissent le salariat. Ces derniers retrouvent d’ailleurs un poste en général dans les 6 mois.
Lancer un projet, quel qu’il soit, c’est sauter dans l’inconnu et se confronter à la surprise. Qu’avez-vous personnellement découvert sur le chemin de 60.000 rebonds ?
Comme pour tout projet, et quelle que soit la nature de ce projet, il faut savoir que les choses ne se déroulent jamais comme on les avait prévues. La surprise fait partie de l’aventure. C’est sans doute pour cela aussi que l’on s’y jette avec autant d’audace et d’ardeur.
Il y a donc des surprises, tout le temps et sur toute la longueur du parcours. Si je devais néanmoins en évoquer deux, parmi celles qui m’ont le plus touché, c’est d’avoir tout d’abord constaté à quel point tous les entrepreneurs accueillis étaient talentueux, riches de leurs parcours, volontaires malgré les blessures, généreux dans leur envie de s’apporter les uns aux autres. Cela n’a fait que confirmer ce sentiment d’énorme erreur, qui serait celle de les abandonner à leurs doutes et à leurs situations personnelles complexes. Et puis il y a eu cet engouement bénévole pour le projet (60 coachs professionnels, près de 150 experts et mentors) et la vitesse avec laquelle de grandes organisations se sont agrégées au projet. Sans l’aide déterminante d’EY France, jamais l’association n’aurait pu se déployer telle qu’elle l’a fait en seulement deux ans.
Quels ont été les moments les plus forts depuis la création ?
Je ne retiens pas un moment mais des moments. Le plus intense de tous cependant : le sourire retrouvé des entrepreneurs. C’est à chaque fois un moment bouleversant.
Nous allons d’ailleurs faire de tous ces sourires une vraie récompense collective. 19 entrepreneurs vont être interviewés cette semaine. Nous avons demandé à une photographe professionnelle de prendre chacun d’entre eux en photo, pour que les sourires se diffusent et pour que les entrepreneurs aient aussi d’eux le visage de la fierté retrouvée ; une fierté à présenter sur leur CV ou sur leurs profils de réseaux sociaux.
Si c’était à refaire, que feriez-vous différemment ?
Je crois que je referais tout de la même manière. Tout d’abord parler du projet autour de moi, à des personnes de confiance, pendant un an. Une année nécessaire pour mûrir l’idée, prendre suffisamment de recul pour qu’elle prenne tout son sens, réfléchir à un modèle facilement réplicable de ville en ville, m’adosser à des partenaires clés…et garder suffisamment d’ambition pour bénéficier d’un effet d’entrainement. Plus c’est grand, plus vous êtes porté par l’envie de le réussir.
Etre entrepreneur, c’est choisir, souvent renoncer aussi. A quoi considérez-vous avoir renoncé?
L’un de nos plus grands dilemmes est l’absence de revenus, et donc l’absence de capacité à investir sans financement externe. “60.000 rebonds” repose aujourd’hui à 100% sur l’énergie bénévole et l’enthousiasme de ses adhérents.
Nous avons donc dû renoncer à une chose pour le moment : le développement à plus grande échelle. Pour passer de 10 villes à 60 ou 100 villes, il faut des moyens financiers que nous n’avons pas pour l’instant et que nous cherchons. C’est contre-nature, mais je dois renoncer à cette ambition de répondre à toutes les sollicitations pour m’assurer que le modèle déjà en place a les moyens de son succès.
Et pour conclure, si vous deviez donner 5 conseils spontanés à ceux qui rêvent d’entreprendre, quels seraient-ils ?
1/ N’acceptez jamais de donner une caution bancaire personnelle pour un projet professionnel. C’est un risque sur la vie personnelle future. Une cloison étanche doit impérativement être dressée entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel. Les rêves et projets futurs seront sinon durablement restreints. Les taux d’intérêt ou les assurances sont là pour couvrir le risque que prend le prêteur.
2/ Souscrivez des assurances, et une assurance-chômage volontaire en priorité ; son coût peut paraître élevé pour une entreprise en démarrage mais ce n’est pas grand-chose par rapport à la contrainte de devoir faire vivre une famille avec le seul RSA.
3/ Penser à un plan B, pour avoir une voie de secours si l’aventure ne se passe pas comme prévu. Y penser, c’est se protéger de la préoccupation permanente sur les conséquences de l’échec éventuel. Cela permet d’être plus lucide et serein pour bien développer son activité.
4/ Soyez entouré car l’isolement est un danger. Partout autour de vous, il y a des gens bien disposés pour vous donner de bons conseils.
5/ Ménagez-vous. Etre un bon entrepreneur, c’est savoir veiller sur soi physiquement et psychiquement pour tenir les efforts sur la durée.
Le 24 septembre dernier, Philippe Rambaud, Président de “60.000 rebonds” a reçu à Bordeaux, ville de naissance de l’association, le prix 2014 de l’engagement sociétal décerné par EY.
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2 commentaires
DELETTRE
Je souscris tout à fait aux cinq (5) conseils ESSENTIELS de Philippe RAMBAUD.
Et je « tire mon chapeau » pour ce qu’il a fait et qu’il fait.
BRAVO.
Sylvain
Bonsoir,
Très belle initiative de Mr RAMBAUD tant il est vrai que beaucoup se retrouvent démunis, que ce soit psychologiquement ou financièrement, après un échec entrepreneurial.
On a souvent tendance à les oublier ces gens-là d’ailleurs.
Et quand on sait à quel point entreprendre en France peut s’avérer être compliqué, cette initiative est un beau geste à l’égard de celles et ceux qui ont un jour « osé ».
Bonne continuation à ce projet.