C’est un “serial entrepreneur” de sa vie ; un de ceux qui parcourent et regardent le monde comme un territoire d’initiative sans fin, portés par l’idée que rêver peut changer le quotidien du plus grand nombre. Matthieu Dardaillon a 24 ans, bientôt un diplôme de l’ESCP Europe en poche, des idées et surtout un projet immense à son actif : Ticket for Change. Une caravane de l’entrepreneuriat social et solidaire qui terminera, le 5 septembre 2014, son périple de 10 jours à travers la France. Un voyage d’inspiration, d’ouverture et d’éveil pour 50 jeunes animés par l’envie d’inventer un nouveau monde en entreprenant différemment.
Le programme qui leur a été concocté, avec l’aide de 3 experts en leadership, repose sur une grande ambition : faire en sorte qu’ils se révèlent à eux-mêmes pour bien entreprendre. Partis de Paris le 26 août, ils auront parcouru la France dans deux grands bus et visité 6 villes – Paris, Marseille, les Amanins aux portes de Valence, Lyon, Strasbourg et Lille – à la rencontre des pionniers les plus inspirants de notre pays. Ils auront suivi un solide processus pédagogique, organisé en 3 étapes : inspiration, introspection et passage à l’action. Ils auront vécu un concentré de découverte, d’intelligence partagée et d’émotions. Le 5 septembre, ils vont rentrer plus riches, plus grands, différents. Leur vie aura changé et ils seront prêts à changer celle des autres.
Ce projet est né en Inde. Matthieu a embarqué fin 2012 pour un voyage en train pas comme les autres : 12 destinations, 15 entrepreneurs sociaux d’exception, 450 jeunes Indiens (et une poignée d’étrangers chanceux) sélectionnés parmi 18.000 candidats, et 8.000 km parcourus pour leur faire découvrir la réalité de leur pays et les inspirer à entreprendre. Conquis par la force du concept, Matthieu a décidé d’en faire une belle idée qui s’exporte, en France pour commencer, demain en Europe.
J’ai eu la chance de participer à l’étape strasbourgeoise de Ticket for Change, et de donner une conférence sur le risque de l’entrepreneur. J’en ai profité pour partager avec Matthieu les ressorts de cette formidable initiative.
Matthieu, à quel moment et pourquoi se dit-on « je me lance » ?
C’est l’accumulation de plusieurs facteurs favorables, un long processus d’inspiration. Il a commencé avec le projet « Destination Changemakers » que j’avais monté en 2011 avec Jonas Guyot, un ami de l’ESCP. Nous avions décidé de partir à la rencontre des entrepreneurs qui changent le monde, en réalisant 3 missions de 3 mois dans 3 pays : Philippines, Inde et Sénégal.
Nous avons rencontré beaucoup d’entrepreneurs sociaux. Ils arrivaient à lancer des modèles qui changeaient la vie autour d’eux, et parvenaient en plus à prendre beaucoup de plaisir. Cela a été une source de beaucoup de questionnements et un premier déclic. Le second est le Jagriti Yatra, ce train de l’entrepreneuriat social et solidaire qui parcourt l’Inde. J’ai tout de suite fait le lien avec la France : nous avons nous aussi une jeunesse pleine de talents et d’énergie, désireuse de s’inscrire dans une dynamique de solidarité.
C’est d’abord devenu une évidence puis très vite une obsession : je devais lancer ce projet !
Je me suis alors senti investi d’une mission, comme aspiré. Je vivais pour ce projet. Je ne pensais qu’à ça. Mon énergie et mon enthousiasme étaient sans fin et je n’avais étrangement pas peur malgré les enjeux. Il faut dire que les conditions étaient idéales : j’étais étudiant, entouré, encouragé et accompagné par un partenaire-fondateur, Entreprendre&+, et je n’avais rien à perdre. Qui plus est mon investissement s’est fait crescendo. Aurais-je fait différemment si je n’avais pas eu cet environnement favorable ? Sans doute, car la problématique du revenu nécessaire aurait ajouté une contrainte supplémentaire. La période des études est donc un moment idéal pour tenter l’entrepreneuriat, tout particulièrement en fin de cursus.
Comment penses-tu avoir contribué à ce déclic qui s’est opéré en toi ?
Le déclic n’arrive pas seul. Il est le résultat d’une attitude, d’une disposition : être curieux de tout, se créer en permanence des opportunités de rencontre et de mouvement, s’autoriser les remises en question et savoir casser ses certitudes.
C’est un entrepreneur indien rencontré dans le cadre de Destination Changemakers qui m’avait parlé du Jagriti Yatra. Il y avait participé deux ans auparavant et ce projet avait changé sa vie. J’ai alors décidé le saut dans le vide. Je ne savais pas où j’allais, ni ce que j’allais vivre. J’ai accepté de me laisser porter.
J’essaie de vivre ma vie comme une succession de défis personnels ; des marches que je gravis les unes après les autres, et que j’essaie de rendre chaque fois plus hautes que les précédentes. C’est mon moteur. D’autres en ont un autre qui leur est propre. Mais le résultat est le même : ce que chacun d’entre nous essaie contribue à changer les choses. C’est la grande récompense de l’initiative.
Si c’était à refaire, que ferais-tu différemment et pourquoi ?
Nous avons eu des moments très durs, qui nous ont même conduits à envisager l’abandon du projet. Nous ne trouvions pas les financements nécessaires pour couvrir le budget de 950k€ (notre modèle s’appuyait sur des subventions et du sponsoring).
Nous avions commis deux erreurs majeures : notre budget était trop élevé, et nous avions sous-estimé le temps nécessaire pour convaincre, autrement dit que notre message à force d’être répété et enrichi devienne intelligible ; sous-estimé aussi le temps pour obtenir l’accord d’un institutionnel.
En outre, plus le temps passait, plus nos chances de trouver se réduisaient. La crainte de ne pas réussir avait modifié notre message : nous étions passés d’une recherche de fonds à une demande de charité. Nous ne donnions plus envie à nos interlocuteurs !
Nous en avons pris conscience et avons décidé un pivot rapide. La location d’un train a été abandonnée au profit de trois bus privatisés (deux pour les 50 jeunes talents, un pour l’équipe d’encadrement), et notre budget est passé de 950k€ à 600k€. L’esprit du projet restait le même mais sa mise en œuvre devenait plus rationnelle, moins risquée et donc plus vendeuse. Nous avions remis du pragmatisme dans notre projet.
T’attendais-tu à vivre ce que tu as vécu ? Quel a été le moment le plus fort de ce projet ?
Ce que j’ai découvert avec ce projet, c’est que le monter a été plus difficile encore que tout ce que j’avais pu imaginer, et qu’il a pris plus d’ampleur que je n’avais osé le rêver. Jamais je n’aurais ainsi imaginé rencontrer François Hollande le 6 mai 2014 pour lui présenter, ainsi qu’à deux de ses ministres – Najat Vallaud-Belkacem et François Rebsamen – le projet que nous nous apprêtions à lancer. Tout est allé si vite ensuite. C’est cela aussi la magie de l’entrepreneuriat : savoir se rendre disponible pour les surprises.
Et pour conclure, si tu devais donner 5 conseils spontanés à ceux qui rêvent d’entreprendre, quels seraient-ils ?
1. Lancez vous dès que vous avez une intuition. Je ne connais pas un entrepreneur social qui ait regretté d’avoir osé, quelle que soit l’issue de son projet
2. Parlez de votre projet au plus de personnes possible, et de tous horizons. Ne mettez aucune barrière, c’est souvent là où on ne les attend pas que se cachent les bonnes idées et les conseils utiles.
3. Sachez vous entourer de personnes compétentes. Nous étions 4 jeunes, peu expérimentés pour porter ce projet. Nous sommes allés chercher des experts en leadership, et des professionnels des réseaux sociaux et de la communication pour avoir très vite le maximum d’impact.
4. Démarrez petit mais autorisez-vous à rêver grand.
5. « Do it with joy », le principe du social business selon le Professeur Yunus. Comprendre que le bonheur est la réalisation de soi.
« A la rencontre des entrepreneurs qui changent le monde » – Matthieu Dardaillon, Jonas Guyot
Paru le 05/05/2014 – Editeur : Rue de l’Echiquier
Commentez cet article
Aucun commentaire