Facebook, Snapchat, WhatsApp, Oculus ou encore LiveRail… La révolution digitale révèle ses nouveaux héros. Ils sont jeunes, visibles, riches en milliards pour certains, et semblent avoir trouvé la solution magique à une équation complexe : faire du mot travail une idée “cool”, et du bureau un lieu de seconde vie, qui épanouit, divertit et réalise. Il y a du cerveau droit, autrement dit de l’intelligence émotionnelle, de l’intuition, de la créativité, du jeu et de la surprise dans l’univers technique des applications numériques.
Leur réussite rapide, presque instantanée, la taille du terrain de jeu, mondial, et l’étonnante facilité avec laquelle une équipe de quelques dizaines de personnes seulement parvient à construire un empire, suscitent bien des vocations. Les projets web et mobiles sont donc dans l’air du temps, portés par l’enthousiasme sans limite d’étudiants en master entrepreneuriat, ou par des salariés qui trouvent dans la promesse du numérique un nouveau souffle et des rêves qui reprennent des couleurs avec l’or et l’argent comme dominante.
Il faut dire que les atours de cette nouvelle industrie ont de quoi séduire.
Le marché est neuf, 20 ans pour le web, 10 pour les services mobiles, et semble offrir à ceux qui l’explorent un champ d’expression et d’imagination sans limite.
Les projets sont encouragés, accompagnés, hébergés. Qu’ils soient incubateurs, pépinières d’entreprise, accélérateurs, réseaux de créateurs… Tous œuvrent à promouvoir l’esprit d’entreprise et faire de jeunes pousses innovantes les “success stories” de demain. Réseau Entreprendre parraine plus de 800 projets chaque année en France. 1000, c’est le nombre de startups qu’accueillera dès 2016 le plus grand incubateur au monde, La Halle Freyssinet, créé en partenariat avec la Ville de Paris, et co-financé par la Caisse des Dépôts et Consignations et par Xavier Niel.
Les fonds disponibles existent encore, pour ceux qui savent démontrer le potentiel de leur réussite future. En 2013, 240M€ ont été investis en amorçage et 1er tour par les sociétés de capital-risque françaises (1).
Une méthode, le Lean Startup, apporte un cadre rassurant et structuré, qui démystifie la complexité de la mise en œuvre d’un projet.
Bref, le temps est à l’innovation digitale, et les idées qui s’élaborent dans le secret de cafés, de bars d’hôtel ou de chambres de bonne, occupent les soirées et week-ends de nombreux entrepreneurs en devenir. D’apéros en soirées, chacun y va donc de sa “superidee.com”, en négligeant souvent un point essentiel : inventer une entreprise digitale sans être un spécialiste du langage informatique (le code), c’est devoir trouver ailleurs les compétences nécessaires au développement de la plateforme informatique. Cela n’a l’air de rien, mais ce rien fait patiner voire condamne bon nombre de projets, car les écueils et les risques sont nombreux.
Un risque de recrutement tout d’abord, tant il est difficile d’évaluer les compétences de candidats dont on ne connait pas le niveau des études effectuées, la valeur des expériences professionnelles, ou encore la qualité de l’expertise acquise. Comment donc s’assurer de la bonne adéquation du profil avec les besoins concrets de l’entreprise ? Et puis les vrais bons experts sont difficiles à trouver. Les meilleurs d’entre eux sont happés par les “majors” du web ou attirés par une expérience américaine, et ce dès la sortie de l’école (l’EPITA est un vivier ultra sollicité). Qui plus est, ils sont bons, et donc coûtent cher (35 à 45k€ en sortie d’école, 100k$ lorsqu’ils s’expatrient).
Le risque d’une association qui ne fonctionne pas ensuite, en faisant le pari d’un mariage opportuniste pour répondre au seul besoin technique : S’associer avec un expert informatique pour pouvoir développer la plateforme sans avoir à investir, mais sous-estimer tout ce qui fait la vraie relation d’associés : très bien s’entendre, avoir envie de construire ensemble, trouver des personnalités qui se complètent et se correspondent, se rejoindre sur des valeurs et des ambitions communes. Et que dire de cette tentation souvent dangereuse, celle d’envisager une répartition de capital très déséquilibrée, qui favorise celui qui a eu l’idée – l’homme ou la femme de marketing – et sous-estime la valeur clé de l’ingénieur qui va la mettre en musique… Le bon concept technologique se regarde trop souvent sous le seul angle de l’originalité marketing. C’est oublier le poids déterminant de l’expérience technique pour le faire sortir de l’ombre.
Un risque de propriété du code source aussi, en confiant le développement de la plateforme à un tiers, agence ou indépendant, sans considérer le droit de la propriété intellectuelle. En d’autres mots, acheter une voiture sans être propriétaire du moteur, et courir le risque de finir la course à pédales en cas de litige… La sous-traitance est également un risque de business model. Elle enferme dans une solution technique, et expose à des évolutions futures coûteuses et contraignantes, sans possibilité de mise en concurrence.
Un risque de dépendance intellectuelle enfin, en faisant reposer les choix technologiques, et donc en engageant le futur et la stratégie de l’entreprise, sur un collaborateur non associé dont on est incapable de juger la pertinence de la Vision.
Si les grandes innovations numériques ne manquent pas, portées par des spécialistes du marketing, du commerce ou de la finance, le sujet de leur mise en œuvre technique est bien trop souvent sous-estimé. Que ce soit pas naïveté, inexpérience ou laxisme, il fait pourtant courir à l’entreprise trois de ses plus grands dangers : la division des associés, la non-maîtrise de la technologie…et la perte de temps.
(1) source : indicateur Chausson Finance
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