
© Gajus-Fotolia.com
L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (sur cette ordonnance réformant le droit des contrats, lire) remet en cause un très ancien arrêt, bien connu des juristes de droit privé sous le nom de Canal de Craponne, rendu le 6 mars 1876 par la Cour de cassation.
La haute juridiction avait refusé de reconnaître au juge le pouvoir de réviser un contrat soumis au droit privé en cas de survenance de circonstances imprévisibles qui viendraient en bouleverser l’équilibre. Le raisonnement soutenu était simple : un contrat valablement formé entre deux cocontractants a la même force qu’une loi entre ces mêmes cocontractants et il n’appartient pas au juge de modifier une loi mais seulement de l’interpréter et de l’appliquer. Et bien que quelques décisions aient imposé l’obligation de renégocier les contrats devenus déséquilibrés sur le fondement de l’exigence de bonne foi (Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18.547 ; Cass. com., 24 nov. 1998, n° 96-18.357 ; Cass. civ. I, 16 mars 2004, n° 01-15.804), la solution de l’arrêt « Canal de Craponne » est demeurée la règle.
Et pourtant, les contrats soumis au droit public pouvaient depuis un arrêt rendu par le Conseil d’État, connu des juristes de droit public sous le nom de Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux rendu le 30 mars 1916, être révisé dès la survenance d’un événement imprévisible, extérieur aux parties et venant bouleverser l’économie du contrat. Par ailleurs, les droits étrangers reconnaissent au juge, certains depuis longtemps, le pouvoir de réviser un contrat devenu déséquilibré. Tel est le cas du droit suisse, du droit anglais, du droit allemand…
Alors, le droit des contrats privés français était-il à la traîne ?
Assurément et l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations y remédie avec brio.
Le nouvel article 1195 du code civil organise désormais le mécanisme de la révision pour imprévision, lequel repose sur le déroulement de trois étapes. En premier lieu, la partie victime des circonstances imprévisibles peut demander à l’autre partie de renégocier le contrat. Néanmoins, elle doit continuer à exécuter ses obligations contractuelles pendant la renégociation. En deuxième lieu, si l’autre partie refuse de renégocier ou si les renégociations échouent, les parties peuvent d’un commun accord demander au juge de procéder à l’adaptation du contrat. Toutefois, dans le cas d’un refus de renégociation par l’une des parties, il parait délicat qu’elle accepte de se joindre à l’autre partie pour demander au juge l’adaptation du contrat. En troisième lieu, si au terme d’un délai raisonnable le contrat n’a pas pu être adapté par le juge, une partie peut demander au juge de réviser le contrat ou d’y mettre fin.
Faut-il craindre l’application de cette nouvelle rédaction de l’article 1195 du code civil dans les contrats conclus avant la promulgation de l’ordonnance voire dans les contentieux en cours ? Non, ces dispositions ne s’appliqueront qu’aux contrats signés à partir du 1er octobre 2016, ce qui laisse encore un peu de temps pour se familiariser avec cette nouvelle règle !
Commentez cet article
9 commentaires
Marc
Ces nouvelles ordonnances remettent en cause beaucoup de choses pour les contrats.
Jean
Les textes changent si souvent que cela commence à donner le tournis
Mathieu
@Jean : entre ça et dire que c’est volontaire il ni y a qu’un pas que je saurai franchir.
Dany
Salut,
Enfin, les juristes ont réagi, ça fait déjà quelques temps que nous attendons un mécanisme clair de la révision pour imprévision.
Laurent
C’est vrai que les textes changement vraiment souvent, et c’est parfois difficile de s’y retrouver.
Chistine
Le titre est une référence involontaire au parti politique ?
Sinon bon article, c’est en train de modifier en effet différents point sur les contrats
Jane
@Jean : Je suis bien d’accord!
MaryJane
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant ! Bravo.
JOJO
Article très intéressant!