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Lorsqu’un client récalcitrant finit par déposer son bilan, l’entreprise n’a plus qu’à déclarer sa créance dans les deux mois de la publication du jugement prononçant l’ouverture de la procédure collective, en espérant récupérer quelques miettes de ce qui sera réservé aux créanciers malchanceux…
Si la loi prévoit qu’il appartient normalement aux dirigeants (le gérant pour une SARL ou le Président directeur général comme le directeur général d’une SA) de signer la déclaration de créance, l’organisation interne du fonctionnement des entreprises peut conduire à ce que la déclaration de créance soit signée par une toute autre personne. Et là, le bat blesse !
En effet, les délégations de pouvoirs sont un vaste terrain de jeu pour ceux qui aiment contester devant les juridictions françaises les pouvoirs de tel signataire d’une déclaration de créance dans le cadre de la procédure collective d’un débiteur… Et la jurisprudence de la Cour de cassation n’aide pas à voir le jour sur cette question.
En effet, à l’occasion de deux arrêts distants d’à peine un mois l’un de l’autre, la Cour de cassation a rendu deux décisions diamétralement opposées dans des affaires relatives aux limitations de pouvoirs des organes de direction (et corrélativement, aux délégations de pouvoirs de ces mêmes organes de direction)…
Dans une première affaire (Cass. com. 15 oct. 2013, n°12-24.881), les magistrats de la chambre commerciale de la Cour de cassation ont décidé que le directeur général d’une société anonyme dispose du pouvoir de procéder à des déclarations de créances pour le compte de la société dont il est le directeur général. Jusque là, rien de bien nouveau sous le soleil, ce n’est qu’une application littérale de la loi. Mais plus curieusement, la Haute juridiction a précisé « qu’il ne peut être apporté de restrictions à ce pouvoir que par une délibération expresse du conseil d’administration ou par une clause des statuts de la société ». Cette solution est pour le moins innovante !
En effet, dans une seconde affaire (Cass. com. 13 nov. 2013, n°12-25.675), ces mêmes magistrats ont réaffirmé une règle bien connue des juristes en relevant que le fait que « les statuts de la SARL précisaient que la limitation, « à titre de règlement intérieur», des pouvoirs du gérant pour l’accomplissement de certains actes ne pouvait être opposée aux tiers ni invoquée par eux ».
Jusqu’à ces deux décisions, il était d’usage d’affirmer que les restrictions aux pouvoirs légaux de la direction, qu’il s’agisse de restrictions décidées par l’organe qui a nommé cette direction ou de restrictions prévues par les statuts, n’étaient pas opposables aux tiers, sauf dans certaines circonstances bien particulières. En clair, ces restrictions servent juste à régler le fonctionnement interne de la société (relation entre la direction et les associés ou actionnaires ou relations entre les différents membres de la direction) sans qu’elles ne puissent avoir d’incidences sur le fonctionnement de la société dans ses relations avec les tiers (relations avec les clients, les fournisseurs, les salariés, etc…). Et les tiers ne pouvaient pas les invoquer pour tenter de démontrer que l’organe de direction n’était pas habilité à agir au nom de la société.
Ces deux affaires sèment donc un trouble évident !
Dans les SA, les restrictions de pouvoirs des organes de direction seraient-elles opposables à tous alors que dans les SARL elles ne seraient opposables qu’aux associés ou aux co-gérants ?
Le trouble est d’autant plus important que la décision rendue en matière de société anonyme se rapportait à une déclaration de créance et qu’il ne s’agissait pas de restreindre les pouvoirs de la direction mais de les déléguer ! La Cour de cassation a considéré que la délégation de pouvoirs donnée au responsable du contentieux par le directeur général résultant elle-même d’une délégation de pouvoirs donnée à ce dernier par le Président, alors que les termes de cette délégation n’était pas précis ni clairs, ne permettait pas de vérifier si cette délégation autorisait le responsable du contentieux de cette entreprise à procéder à des déclarations de créances. En conséquence, la déclaration de créance faite par le responsable du contentieux de cette entreprise a été rejetée…
Cette décision est pour le moins perturbante et elle incite d’urgence à revoir ses délégations de pouvoirs : la précision semble devenir le maître mot.
A vos plumes…
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